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Biden grand révolutionnaire ou Macron grand réactionnaire ?

Billet d'humeur 2 mai 2021

Ne soyons pas naïfs, Biden n’est pas devenu du jour au lendemain un grand progressiste et son plan n’a rien de révolutionnaire. Mais en revenant aux fondamentaux du Keynésianisme tout en fermant la parenthèse de l'impunité fiscale des plus riches, il révèle en miroir l'absurdité de la doctrine austéritaire et inégalitaire qui sévit encore en Europe. Ce n’est clairement pas le grand soir mais l’exemple américain sera un atout incontestable pour déstabiliser la Macronie et la Commission européenne qui ne pourront pas esquiver la comparaison.

Son nom fait les gros titres et les commentaires sont dithyrambiques : “Joe Biden, le président des travailleurs”, “Les leçons de Joe Biden à la gauche française”, “Le révolutionnaire qu’on attendait pas” … Le nouveau président américain serait-il un héros inattendu pour la gauche ? C’est un peu plus compliqué que ça… Avec son plan de relance à 2 250 milliards d’euros qui s’ajoute à son plan pour les familles de 1 800 milliards, Biden a marqué les esprits et suscité un intérêt très fort de la presse française. Reconnaissons le : ce qu’il propose est une rupture non négligeable avec les politiques qu'ont connu les Etats-Unis ces dernières années. En planifiant l’intervention de l’Etat dans l’économie et en consacrant tout un pan des dépenses à l’action sociale, Biden fait prendre aux Etats-Unis un tournant keynésien en relançant la demande. Une évolution d’autant plus marquante dans un pays qui a initié la grande contre-révolution néolibérale dans les années 1980. 

Regardons un peu de quoi on parle. Tout l’intérêt de ce plan est de lier un volet justice fiscale et un volet financements. D’une part, Biden planifie sur 8 ans  des investissements importants pour remettre sur pied l’industrie américaine : modernisation des transports, développement du fret et du transport de passagers, rénovation du réseau énergétique,  priorité donnée à la recherche et la formation, etc. L’essentiel des dépenses visent surtout à augmenter la productivité américaine (avec une touche d’écologie) dans la compétition mondiale en s’accompagnant de mesures protectionnistes contre les les entreprises qui délocalisent emplois ou profits. Mais ces investissements productifs vont de pair avec une volonté de redistribution et de soutien aux services publics. Le plan prévoit ainsi notamment la construction et la rénovation de logements, d'hôpitaux, d'écoles, etc. mais également la revalorisation des salaires des travailleurs essentiels de soin à domicile. Des dépenses qui bénéficieront directement aux américains les plus vulnérables et viennent s’ajouter à des transferts directs accordés au titre de l’urgence ou aux mesures essentiellement sociales du “Plan pour les familles”. Un autre volet de 1 800 milliards prévoyant notamment des aides pour les étudiants et les familles pauvres, le financement de deux années de scolarité aux étudiants et la création d’un congé maternité, parental ou maladie de douze semaines.

Pour financer l’ensemble de ces mesures, Biden fait ce qui s’est toujours fait dans l’Histoire face aux crises : cibler les gros, multinationales comme milliardaires, pour préserver les classes moyennes et populaires. Sa réforme fiscale s’appuie sur trois leviers : hausse de l’impôt sur les sociétés de 21 à 28 %, hausse du taux marginal d’imposition sur le revenu des plus riches et alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail. Cela paraît révolutionnaire pour certains : c’est plutôt la fermeture d’une parenthèse après des décennies de cadeaux fiscaux imposés par les fanatiques de la théorie du ruissellement. Biden reprend des fondamentaux économiques que l’Europe semble avoir oubliés : face aux crises, l’Etat doit prendre la main. 

Et s’il apparaît aussi volontariste, c’est surtout en contraste avec la France et l’Union européenne qui restent arc-boutés sur des dogmes néolibéraux. Macron fait en effet exactement l’opposé ! Il refuse la moindre hausse d’impôt sur les profiteurs de crise au mépris des appels du FMI et de l’ONU. Il maintient ses réductions d’impôts à la fois sur les sociétés et sur les plus riches. Et son plan de relance, largement insuffisant pour la transformation de notre appareil productif, évacue toute dimension de soutien aux ménages. Bref, à l’image de la Commission européenne, il continue de miser sur les mêmes recettes: austérité, libre-échange, concurrence (y compris fiscale) et tout-marché. Comme si la pandémie n’avait jamais eu lieu.

Les analyses dithyrambiques en France du début de mandat de Biden montrent en creux la faiblesse de la réponse européenne face à la crise. Mais cela ne doit pas nous empêcher de conserver du recul sur ce plan et la situation aux Etats-Unis : Biden ne revient par exemple pas au taux d’imposition sur les sociétés d’avant Trump (35%), les très riches restent encore relativement cajolés, pas d’impôt sur l’héritage ou le patrimoine, pas de régulation de Wall Street... Et c’est tout l’enjeu de l’aile gauche des démocrates qui mène un combat acharné pour le salaire minimum fédéral à 15 $, la sécurité sociale universelle, l’annulation de la dette étudiante, etc.. C’est grâce à Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez ainsi qu’aux mobilisations sociales que Biden a dû mettre un coup de barre à gauche. Notre ambition, comme la leur, va bien au-delà : sortir les communs du marché, en finir avec les logiques d’austérité, de compétition fiscale et sociale et investir le nécessaire pour construire un modèle de production durable et juste. Le virage opéré est encourageant mais il reste encore bien du chemin à parcourir.

Ne soyons pas naïfs, Biden n’est pas devenu du jour au lendemain un grand progressiste et son plan n’a rien de révolutionnaire. Mais en revenant aux fondamentaux du Keynésianisme tout en fermant la parenthèse de l'impunité fiscale des plus riches, il révèle en miroir l'absurdité de la doctrine austéritaire et inégalitaire qui sévit encore en Europe. Ce n’est clairement pas le grand soir mais l’exemple américain sera un atout incontestable pour déstabiliser la Macronie et la Commission européenne qui ne pourront pas esquiver la comparaison.

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