Partager

Rapport à l’Union européenne : la gauche se réunit sur une stratégie de désobéissance et de rapports de force

Billet d'humeur 13 mai 2022

Un aspect de notre accord de la nouvelle union populaire a beaucoup été commenté ces derniers jours : la désobéissance aux règles européennes qui entrent en contradiction avec l’application de notre programme. Derrière les cris d’orfraie poussés de concert par LREM et un certain nombre de médias, il y a en réalité un moment historique : la gauche parle d’une même voix pour rompre avec le cours libéral de l’Union européenne. Des heures et nuits durant les négociations, j’ai souvent repensé à mon 1er engagement pour le non au traité constitutionnel européen en 2005. La jeune citoyenne que j’étais alors ne pensait pas que la fracture qui allait diviser la gauche pendant près de 20 ans, pourrait trouver une issue sur une ligne claire de rupture. Petit récit des coulisses de cet accord historique et sa signification politique.

Longtemps l’étiquette d’anti-européens a collé à la peau de la France insoumise. On nous a dit nationalistes, mus par la tentation de repli sur soi, pétris d’égoïsme national. Nous avons même été repeints en Frexiteurs. Parce que nous assumons de vouloir rompre avec le cours libéral, productiviste et austéritaire de l’Union européenne actuelle, alors c’était forcément avec l’Union européenne elle-même qu’on voulait en finir. Comme si elle était un tout, une entité figée à prendre ou à laisser. Comme si la volonté d’en faire bifurquer le cours, quitte à la bousculer, masquait forcément un projet caché de la détruire. 

La critique de l’Union européenne a longtemps été taboue, y compris dans notre propre camp. Dans d'innombrables débats télévisés, la question européenne a été réduite à cette interrogation absurde et piégeuse : “pour ou contre l’Europe ?”. À gauche aussi, nombreux ont versé dans ce faux débat entre prétendus pro et anti-européens. La France insoumise a certainement eu le malheur de comprendre avant d’autres que le chemin pris par l’Union européenne nous menait dans l’impasse. Qu’aucun traité, encore moins ceux qu’on impose de force aux peuples, est légitime pour s’opposer à la volonté populaire de mieux vivre, de justice sociale, de protection de l’environnement, de démocratie. Que certaines règles européennes, indépendamment de nos rêves respectifs pour l’Europe, sont aujourd’hui des obstacles à toute politique ambitieuse sur les plans sociaux et environnementaux.

L’élection présidentielle de 2022 a donné l'opportunité à nos partenaires de gauche de voir les choses différemment : le score historique Jean-Luc Mélenchon et du programme de rupture que nous portons démontre à quel point la volonté d’un bouleversement des politiques actuelles est forte. Cette expression citoyenne nous engage. Hors de question de faire du Hollande, promettre de renégocier pour finalement avaliser les pires dérives libérales. Notre programme est notre boussole, et son application concrète, notre seul objectif. Dès lors, que faire des règles européennes qui s’y opposent ? Que faire des blocages qui se présentent à nous ?

C’est ce travail sérieux et rigoureux que nous avons mené pendant plusieurs mois, fruit d’une meilleure connaissance des rouages européens depuis notre élection en 2019, qui nous a permis de présenter en janvier dernier une myriade d’outils dans un plan complet (remarquez qu’à l’époque les médias semblaient beaucoup moins intéressés par notre position sur la désobéissance). C’est de là que nous sommes partis, pour négocier un accord avec les autres forces à gauche en vue des législatives, avec une méthode : plutôt que de débattre pendant des heures sur notre vision de l’Europe idéale, partons de nos objectifs communs et examinons pour chacun les problèmes posés par le cadre européen actuel. Parce que nous voulons tous une agriculture locale, paysanne, biologique, alors nous devons trouver une manière de composer avec une politique agricole commune qui promeut l’agrobusiness. Parce que nous voulons renationaliser EDF, faire un pôle public de l’énergie et des transports, proposer du local dans nos cantines, alors nous devons rompre avec la logique du tout concurrence et le droit européen en la matière. Parce que nous devons investir massivement dans la bifurcation écologique et les services publics, alors il nous faut déroger aux règles budgétaires européennes. Etc.

C’est en partant de nos objectifs communs que nous avons pu nous accorder sur une stratégie. Car qu’on parle de désobéissance, de dérogation, d’objection, la stratégie est la même : dépasser les blocages posés par certaines règles européennes à la mise en œuvre d’un programme. C’est sur ce point fondamental que nous nous sommes accordés dans le cadre des discussions programmatiques pour les législatives. Qu’il s’agisse du parti socialiste, qui avec Hollande au pouvoir a mené une toute autre politique, ou d’Europe écologie les Verts, attaché à l’idéal fédéraliste, tous ont fini par se rendre à l’évidence : il n’y a pas d’ambition sociale et écologique sérieuse sans regarder en face les blocages européens et surtout sans proposer une méthode concrète pour les lever.

Pour avoir opéré cette clarification salvatrice, nos partenaires sont aujourd’hui attaqués par des macronistes paniqués, qui leur font le procès en anti-européen qu’on nous faisait hier. En oubliant au passage qu’Emmanuel Macron est le 1er à désobéir, et pour le pire (normes de pollution de l’air, objectifs en matière d’énergies renouvelables, protection des données, etc.). À croire qu’ils ne voient pas, comme nous le voyons, les fractures qui se multiplient entre les peuples et les institutions européennes, l’extrême-droite qui prospère sur ces blessures. Finalement, c’est intéressant de voir que ceux qui tiennent au devenir de l’Europe et de ses peuples sont en réalité précisément ceux qui osent aujourd’hui défendre une stratégie assumée de conflictualité et de désobéissance en Europe, au service du progrès humain.

Car la désobéissance n’est pas un objectif en soi. Mais bien un moyen pour à la fois être en capacité d’appliquer notre programme mais aussi un outil du rapport de force pour entraîner d’autres Etats dans notre sillage et changer durablement les règles européennes. C’est en refusant de mettre en concurrence sa production d’eau potable que l’Allemagne a obtenu cette exemption pour toute l’UE. C’est parce que plusieurs Etats (dont la France !) ont interdit les OGM que l’UE a fini par légaliser ces interdictions. C’est parce que l’Espagne a agi sur les prix de l’énergie face à leur explosion que ces dispositifs ont pu être généralisés à l’Europe.

La bataille culturelle sur l’Europe que nous portons depuis des années a porté ses fruits. 17 ans après le référendum de 2005, le contrat de législature et de gouvernement que nous avons signé avec les autres partis politiques vient tourner la page des querelles du passé. Bien sûr, chacun conservera sa vision de l’Union européenne idéale, et continuera de la défendre quand l’occasion se présentera. Rien de moins est attendu de nous. Mais notre camp a fait un immense pas en avant en s’accordant sur la stratégie nécessaire de la désobéissance, quand des règles bloquantes nous y obligent. Cet accord doit être un grand motif de fierté collective, et un pas de plus qui nous rapproche de la victoire !

Restez informés

Nous utilisons Mailchimp comme plate-forme marketing. En cliquant ci-dessus pour vous abonner, vous reconnaissez que vos informations seront transférées à Mailchimp pour en savoir plus sur la politique de protection des données de Mailchimp.
Vous pouvez vous désinscrire à tout moment en cliquant sur le lien en bas de nos emails. Pour avoir plus d'informations sur notre politique de protection des données personnelles, vous pouvez visiter notre site internet

Données personnelles

Les cookies permettent d'améliorer votre experience et facilitent la réactivité de notre site. Sur notre site, un cookie est actif : Google Analytics. Il récolte des données statistiques anonymes sur le site. Lorsque vous visitez le site de Manon Aubry, une seule donnée personnelle vous concernant est collectée avec ce cookie, il s'agit de votre adresse IP, mais celle-ci est anonymisée automatiquement par le système sans possibilité d'identification de la personne concernée. Si vous ne souhaitez pas que notre site utilise ce cookie, vous pouvez le refuser ci-après.