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Règles budgétaires européennes : chassez l’austérité, elle revient au galop.

Billet d'humeur 29 avril 2023

Après 3 ans de crise et une intervention inédite des Etats pour amortir les chocs économiques et sociaux, la Commission européenne ne cache pas son empressement de siffler la fin de la récré et de revenir à un strict contrôle budgétaire au sein de l’UE. Cette semaine, elle a proposé de nouvelles règles pour encadrer les dépenses des Etats et leurs niveaux de déficit et de dette publics à l’avenir. Et ça va faire très très mal : une cure d’austérité sans précédent s’annonce ! Nos hôpitaux, nos écoles, notre protection sociale, l’ambition écologique… déjà sévèrement attaqués par Macron risquent de prendre cher. Je vous décortique une réforme scandaleuse qui aurait dû faire la une des journaux.

Les règles budgétaires européennes, vous les connaissez mieux que moi. En réalité, vous les côtoyez au quotidien. C’est la ligne de TER que vous empruntez tous les jours qui disparaît car elle n’est soi-disant par rentable. C’est l’attente des heures durant aux urgences d’un hôpital en sous-effectif car sommé de faire des économies. C’est votre tante en fin de carrière, obligée de trimer 2 ans de plus à cause de la réforme des retraites. 

Partout où nos vies sont rendues plus difficiles se cachent, non loin, ces règles budgétaires absurdes et inventées sur un coin de table selon lesquelles un Etat européen ne doit pas avoir plus de 3% de déficit et 60% de dette par rapport à son PIB. Ces objectifs, aussi infondés et néfastes soient-ils, sont gravés dans le marbre des traités européens et sont un pilier de l'idéologie économique dominante. Pour les gardiens du temple libéral, budget bien ordonné a plus d’importance que le bien être des peuples. Conséquence : tout ce que nous avons de plus précieux et de plus utile (services publics, protection sociale, infrastructures publiques, mécanismes de solidarité) est susceptible de servir de variable d’ajustement un jour ou l’autre. Et ça a déjà largement commencé. 

Pour être sûr que tout le monde se tienne à carreau, les Etats européens se sont dotés d’un mécanisme de surveillance et de sanctions, en vigueur depuis 2010. C’est ce qu’on appelle le Semestre européen. C’est dans ce cadre que la Commission rappelle chaque année les pays à leur bon devoir et propose des réformes pour faire des économies et couper dans la dépense publique. (Bizarrement, elle suggère rarement d’arrêter de faire des cadeaux aux grandes entreprises ni de taxer les plus riches ou les multinationales). 

Malgré tout, en réalité, peu de pays parviennent à rester dans les clous qu’ils se sont eux-mêmes imposés. Entre 2011 et 2020, les pays européens ont enfreint les règles plus de 170 fois sans pour autant faire faillite, contrairement à la menace sans cesse brandie par les libéraux. Macron n’est pas le dernier à utiliser ce chantage à la dette. 

La situation a été d’autant plus bouleversée que le Covid puis la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine sont passés par là. Et pour amortir, autant que possible le choc et limiter la casse, les Etats ont fort heureusement délié les cordons de la bourse. A tel point que que la Commission elle-même a suspendu ses règles budgétaires depuis 2020, et jusqu’à la fin de l’année 2023, pour leur laisser davantage de marge de manœuvre. Bilan des courses : dans la zone euro, la moyenne du déficit est de 4,7%, et celle de la dette de 91,6%. Bien au-delà des 3% et 60% exigés. Au total, seulement 10 pays sur 27 sont actuellement en dessous de la limite de déficit, et 14 pays sur 27 en dessous de la limite de dette.

C’est dans ce contexte que la Commission européenne propose une réforme des règles budgétaires : pour les tenants de l’orthodoxie budgétaire, cette situation est inacceptable et il ne s’agirait pas de s’habituer à dépenser n'importe comment. Il est grand temps que États reviennent dans le droit chemin en réduisant la voilure de la dépense publique pour réduire leur déficit et leur dette. 

La réforme proposée manie la carotte et le bâton à la perfection : d’une main, on donne plus de flexibilité aux Etats membres, de l’autre on durcit les sanctions. Avec les nouvelles règles, les Etats auront davantage de temps pour réduire leur dette et de marge de manœuvre sur la façon de le faire. Super, les Etats pourront choisir eux-mêmes s’ils coupent dans leurs hôpitaux ou dans leurs écoles… En échange, ils se verront sanctionner plus systématiquement et plus durement s’ils ne parviennent pas à respecter leur “trajectoire d’ajustement” définie avec la Commission. 

Essentiellement cosmétique, la réforme ne change aucun des fondamentaux. Ni les crises que nous traversons, ni celles à venir si nous ne faisons rien (changement climatique entre autres) ne semblent susceptibles d’ébranler les libéraux dans leurs certitudes. Les limites arbitraires et infondées de 3% et de 60% restent l’alpha et l’oméga de la gouvernance économique.

Une chose est claire : c’est le retour assuré de l’austérité et de la casse sociale. Tout sera bon pour rentrer dans les clous budgétaires : coupes dans les services publics, privatisations, réformes pour économiser sur la protection sociale, etc. C’est ce que recommande déjà chaque année l’Union européenne aux Etats. Mais la Commission, dans sa grande bonté, donnera un peu plus de temps pour le faire. Et Macron et ses alliés libéraux s’exécuteront, trop contents d’avoir une excuse pour démanteler ce qu’il reste d’Etat social, ce qu’ils souhaitaient faire de toute façon. 

Autre problème, et pas des moindres : les règles budgétaires vont mettre de nouveaux bâtons dans les roues de la bifurcation écologique. En maintenant une chape de plomb sur les dépenses, elles vont empêcher ou freiner les investissements publics indispensables pour mettre nos sociétés au diapason de la crise climatique et environnementale. Faisons l’autruche et tout ira bien…

On pourrait penser que, pour des enjeux aussi importants, les peuples seraient étroitement associés, soit directement, soit par la voix de leurs représentants et d’organisations de la société civile. Que nenni ! 

Le Parlement européen n’aura le droit de se prononcer que sur une partie de la réforme et les parlements nationaux ne seront pas consultés dans le cadre des plans d’ajustement de la dette, qui vont pourtant affecter directement tous les citoyens. A la place, c’est la Commission européenne, institution non-élue et donc sans légitimité démocratique, qui verra son rôle renforcé et choisira à notre place quel budget couper.

Vous l’aurez compris : la réforme, avec ses gros sabots, va faire perdurer un système économique failli, injuste et insoutenable. Sous couvert de changement et d’assouplissement, c’est la continuation du même modèle néolibéral usé jusqu’à la corde. Oui il faut une coordination et des règles communes. Mais elles doivent être définies démocratiquement, au service de la justice sociale et de la transition écologique dans une perspective de long-terme. Ce sera à n’en pas douter un des éléments centraux de la campagne des européennes 2024 : l’austérité, stop ou encore ? Alors une chose est sûre : vous pouvez compter sur moi pour nous opposer de pied ferme à la nouvelle cure d’austérité généralisée et au sabotage de la bifurcation écologique que nous prépare la Commission et les gouvernements libéraux. 

Manon Aubry

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