Présidence française de l'UE : assumons une stratégie de confrontation pour rebattre les cartes européennes
La présidence par la France du Conseil de l'Union européenne est un événement exceptionnel, qui n'a lieu qu'une fois tous les quatorze ans. C'est une opportunité historique d'influencer de manière considérable l'agenda européen. Mais pour Emmanuel Macron, l'enjeu est tout autre. À moins d'une centaine de jours de l'élection présidentielle, le Président candidat a fait un choix très clair : rabaisser le rôle de la France dans l'évolution de la coopération européenne pour mettre en scène un faux duel entre 'pro' et 'anti' européen. En témoigne d'ailleurs la polémique stérile qu'il a délibérément déclenchée en installant le drapeau européen sous l'Arc de Triomphe .
Emmanuel Macron ne se cache d'ailleurs même pas de faire campagne sur le dos de l'Union européenne. Il aurait en effet pu négocier le report de la présidence de la France, comme cela s'est déjà fait par exemple pour l'Allemagne en 2006, mais il a préféré la maintenir pour mieux s'installer comme le champion européen qu'il rêve d'incarner. Pas moins de 400 évènements, des monuments décorés et illuminés aux couleurs de l'Union européenne, des ministres en tournée d'inauguration sont au programme des prochains mois. Aucun citoyen ne doit ignorer que le sauveur de l'Europe, c'est lui! Quitte à affaiblir terriblement la position diplomatique de la France tant son opportunisme irrite nos partenaires européens qui ne sont pas dupes de ce petit jeu.
Toutes ces agitations ne visent en réalité qu'à une chose : occulter son bilan européen désastreux. Emmanuel Macron a surpassé François Hollande en matière de promesses non tenues. Il faisait mine de vouloir faire évoluer le cadre économique européen, il a finalement réaffirmé l'austérité en conditionnant l'argent du plan de relance européen à des réformes budgétaires (tout en acceptant au passage l'augmentation des rabais des pays radins au budget de l'UE!). Il prétendait défendre les droits fondamentaux, mais regarde ses pieds quand l'extrême droite autoritaire les bafoue en Pologne, en Hongrie, en Slovénie.
Il a fait de l'égalité femmes hommes la "grande cause du quinquennat", puis a combattu un texte européen de progrès sur le congé parental. Pire encore, Macron nous déshonore avec des alliances qui font honte à la France : aux côtés du Medef, avec qui il a torpillé une mesure de transparence fiscale des multinationales. Et main dans la main avec les pays défenseurs des énergies fossiles et même l'extrême droite hongroise qu'il a réunis pour forcer l'intégration du gaz et du nucléaire dans la définition des énergies 'durables'.
La présidence française du Conseil de l'Union européenne sera donc à l'image du quinquennat d'Emmanuel Macron : un triste conservatisme enrobé de belles paroles et de beaucoup d'agitations. Heureusement, cette calamité peut s'arrêter en avril 2022. Il restera alors plus de deux mois de présidence pour permettre au nouveau Président de la République de réorienter structurellement la politique européenne.
L'urgence, c'est d'abord de bloquer le retour des règles du tout austérité et du tout marché, suspendues pendant la crise sanitaire et obsolètes face à la pandémie et la crise climatique. Mais il faudra aller plus loin. Nous ne nous en cachons pas : le programme de progrès écologique et social que nous défendons est incompatible avec de nombreuses règles européennes. Le sérieux impose de le dire. Une lutte sérieuse contre le dumping social et fiscal, la renationalisation du fret, un pôle public de l'énergie ou encore les cantines bios et locales : toutes ces propositions sont contraires aux règles européennes et à leur obsession du libre-échange et du tout-concurrence.
Porter ces propositions sans présenter une stratégie permettant de lever les obstacles posés par les règles européennes face à leur mise en oeuvre déboucherait sur les mêmes éternels renoncements. Pour respecter le suffrage universel, appliquer le programme qui l'aura emporté, et honorer nos engagements internationaux en matière de droits humains et de climat, nous assumons de le dire très clairement : nous dérogerons aux dispositions européennes qui s'y opposent.
Nous proposons pour cela une méthode de gouvernement détaillée dans un document stratégique précis, qui assume d'entrer en confrontation avec les institutions européennes quand il le faut. Nous n'hésiterons pas à utiliser les rapports de force possibles au sein du Conseil européen. Véto sur les traités de libre-échange, conditionnement du versement de notre contribution au budget, recours aux minorités de blocage : nous avons de nombreux leviers. Et quand les règles existantes sont incompatibles avec notre programme, nous désobéirons, unilatéralement ou avec d'autres. En toute hypothèse, nous appliquerons un principe de non-régression écologique et sociale : aucune norme européenne ne peut s'appliquer si elle est moins ambitieuse qu'une norme nationale.
Notre démarche n'est ni individuelle ni nationaliste, bien au contraire : nous voulons que la France, comme elle l'a souvent fait, montre l'exemple en Europe. En faisant passer les impératifs sociaux, climatiques et démocratiques au premier plan et en assumant une confrontation constructive avec le cadre européen actuel, nous agirons en éclaireurs en ouvrant une voie d'avenir pour tous. Il est temps de rallumer l'espoir d'une alternative au tout libéralisation, au tout concurrence, au tout libre-échange. La Présidence française est une occasion inédite : contrairement à Emmanuel Macron, nous saurons l'utiliser pour rebattre enfin les cartes du jeu européen et être en capacité d'appliquer notre programme, quoi qu'il en coûte."