Budget et plan de relance européens : les riches et pollueurs passent en force
Pour pouvoir annoncer un plan de relance et donc se présenter comme le prétendu sauveur de l’Europe, Emmanuel Macron a cédé sur toute la ligne aux pays « radins » et aux libéraux qui sont les grands gagnants de ces négociations. Et tant pis pour les peuples et la planète qui comme d’habitude subiront les conséquences de ces orientations d’un autre temps, prises dans des réunions à huis clos, sans aucune consultation des citoyens ni de leurs représentants.
À Paris comme à Bruxelles, les libéraux n’aiment pas trop s'accommoder de la démocratie. C’est vrai qu’après tout, le débat, la transparence, la délibération collective, ça leur semble tellement superflu. Mais on vous avait promis d’être élus au parlement européen pour lancer l’alerte, être des trouble-fêtes et batailler pied à pied sur chacun des textes qui, in fine, impacte nos vies quotidiennes. Et il y en a un qui est particulièrement important : c’est le budget et le plan de relance européens. Promis, je ne vais pas vous assommer de chiffres mais vous raconter cette bataille essentielle qui s’est jouée dans les couloirs ternes du parlement européen. Une bataille aux implications sociales et écologiques majeures. Qui engage notre avenir à tous. Avec une question claire : qui va payer la crise ? Ceux qui galèrent ou ceux qui agglomèrent (les richesses !) ?
Tout a commencé le lundi, avec le vote en commission des affaires économiques de l’instrument de mise en œuvre du plan de relance européen. Derrière un nom pompeux (la “facilité pour le reprise et la résilience”) dont seule l’Union européenne a le secret, se cache en fait le mécanisme de distribution de la quasi-totalité des 750 milliards d’euros du plan de relance européen. Ce montant peut paraître énorme à première vue mais seule la moitié seront des subventions directes, distribuées sur trois ans, ce qui fera donc 130 milliards par an pour les 27 Etats membres. Au final, 0,7% d’un PIB européen qui va diminuer de 8 à 10% cette année ! C’était déjà insuffisant au moment où a été trouvé l’accord cet été. Mais maintenant que toute l’Europe traverse une seconde phase de confinement, ce montant apparaît encore plus en décalage avec la réalité de la crise. Avant même qu’un seul euro n’ait été débloqué pour les Etats membres, ce plan de relance est donc déjà « dépassé ».
Le Parlement aurait dû au moins pouvoir discuter des modalités concrètes de mise en œuvre de ce plan de relance européen et notamment des contreparties écologiques et sociales demandées aux Etats. Mais cela aurait été certainement trop en demander. Le texte présente tout d’abord un grave recul sur le climat : alors que la Commission environnement avait réussi à introduire dans le texte l’interdiction de financer des énergies fossiles, cette mention a finalement disparu du texte final. Le plan de relance pourra ainsi financer des projets gaziers au sein de l’UE ! Aucun garde-fous environnementaux donc.
L’Union européenne a pourtant moins de scrupules pour imposer des conditionnalités… quand elles sont austéritaires. Le texte contraint en effet les Etats membres à indiquer comment leurs plans de relance permettront de mettre en place les recommandations économiques émises par la Commission européenne dans le cadre de ce qu’on appelle le Semestre européen, le processus de contrôle budgétaire. Au menu, toujours les mêmes recettes néolibérales : baisse d’investissements dans les services publics, désindexation du salaire minimum sur l’inflation et cerise sur le gâteau… la réforme des retraites (oui on l’aurait presque oubliée celle-là !). C’est le ministre des finances Bruno Le Maire lui-même qui a reconnu que la réforme des retraites serait une des conditions pour recevoir l’argent européen. La Commission mettra même en place un système de notation des plans de chaque Etat pour déterminer leur compatibilité avec les priorités européennes et donc les montants versés... Et si le plan de relance d'un Etat ne plaît pas à la Commission, elle pourra lui refuser tout financement et lui demander d’en présenter un nouveau ! Comprendre : pas de réformes libérales, pas d’argent. C’est ce qu’on appelle la relance de l’ancien monde.
Et comme, il ne faudrait pas trop s’accommoder du parlement, seule représentation directement élue au niveau européen, la commission européenne s’est bien assurée d’être la seule à évaluer les Etats et se contentera juste de nous faire un rapport annuel. Merci, trop sympa. Et pour couronner le tout, les grands groupes au Parlement se sont de surcroît entendus pour que ce texte ne soit pas voté en session plénière. Notre groupe a été le seul à s’opposer à ce déni de démocratie !
Pourtant, ce plan de relance nous concerne tous... Et même en premier lieu puisqu’à la fin, on devra en payer la note ! C’était pas faute d’avoir demandé une taxe sur les transactions financières pour faire payer les spéculateurs et une taxe sur les profiteurs de crise type Amazon mais ils ont préféré renvoyer aux calendes grecques ou balayé d’un revers de la main ! Et ce n’est pas la maigre taxe plastique sur laquelle ils se sont accordés qui paiera le plan de relance…
Comme on a mis le doigt sur un sujet qui fâche, j’ai posé une question écrite à la Commission européenne pour savoir si les ressources propres suffiraient à rembourser le plan de relance. Leur réponse est édifiante : la Commission ne connaît ni le montant annuel des remboursements, ni leur calendrier, ni les recettes issues des ressources propres qu’elle pourra mettre en face... Ce sont donc bien les Etats et donc les peuples européens qui risquent de devoir rembourser !
Mais pas tous. Car dans cette histoire, il y a quand même des grands gagnants. Ce sont les pays dits « frugaux » (ou plutôt les « radins ») qui ont obtenu une nouvelle augmentation de leurs rabais qui atteindront 53,2 milliards d’euros pour les sept prochaines années… tout en négociant également à la baisse le budget pluriannuel européen. Car oui, les députés des groupes majoritaires ont annoncé fièrement avoir obtenu un accord la semaine dernière sur le budget européen en se félicitant d’avoir arraché 16 milliards d’euros de plus pour les sept prochaines années... Mais ils ont oublié de préciser que l’accord porte sur un budget inférieur de 234 milliards d’euros par rapport au montant qu’il avait initialement demandé ! C’est notamment la Politique Agricole Commune qui fera les frais de ces coupes budgétaires, et avec elle les agriculteurs et la planète.
Bref, pour pouvoir annoncer un plan de relance et donc se présenter comme le prétendu sauveur de l’Europe, Emmanuel Macron a cédé sur toute la ligne aux pays « radins » et aux libéraux qui sont les grands gagnants de ces négociations. Et tant pis pour les peuples et la planète qui comme d’habitude subiront les conséquences de ces orientations d’un autre temps, prises dans des réunions à huis clos, sans aucune consultation des citoyens ni de leurs représentants.