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Tout pour les actionnaires, rien pour les salaires !

Billet d'humeur 1 mars 2023

Quand on mène une politique tout entière tournée vers la conservation des intérêts d’une petite minorité, et que le peuple commence à montrer de sérieux signes d’impatience, il faut bien faire diversion. C’est ce que fait le gouvernement en abattant sa carte partage des richesses produites par les entreprises (aka. Le « partage de la valeur ajoutée ») alors que l’inflation galope toujours, que les records des profits du CAC 40 tombent les uns après les autres et que des millions de Français défilent contre une réforme des retraites aussi socialement régressive qu’elle est économiquement injustifiée. Décryptage de la nouvelle arnaque du gouvernement pour nous faire détourner le regard de sa politique injuste où ils préfèrent nous faire travailler de plus plutôt qu’un vrai partage des richesses.

Il est de retour ! Le marronnier du partage de la valeur ajoutée a repris ses quartiers dans les éléments de langage du gouvernement et des députés macronistes. A vrai dire, c’est aussi une marotte personnelle du Président, lui qui avait fait du “dividende salarié” une promesse de campagne pour sa réélection. 


Le contexte s’y prête bien : les entreprises amassent des fortunes -  Total a annoncé 36 milliards d’euros de bénéfices, LVMH 14 milliards, BNP 10 milliards - et les actionnaires se frottent les mains, tandis que l’inflation continue de grignoter les revenus de la population. A en croire le gouvernement, ces profits mirobolants ne sont pas le problème. Au contraire : il suffirait de “mieux associer les salariés aux richesses créées”.


La proposition est d’autant plus sournoise que, sur le papier, il est difficile d’être contre. Sauf qu’évidemment, les macronistes ne sont pas soudainement épris de justice sociale, la casse programmée des retraites en est témoin. En réalité, ils ne veulent pas mieux partager la valeur ajoutée mais tout au plus que les salariés récupèrent quelques miettes après que les actionnaires se soient taillés la part du lion. Car, pour un vrai rééquilibrage de la valeur ajoutée, il faudrait que davantage personnes aient un emploi et que les salaires augmentent. Ce qui n’est pas vraiment à l’ordre du jour, vous en conviendrez. 


La valeur ajoutée, c’est le supplément de richesses créé par une entreprise du fait de son activité. Elle peut être distribuée la part qui rémunère le travail (salaires) et celle qui revient au capital (dont les dividendes aux actionnaires). La répartition de la valeur ajoutée entre ces différents objectifs et acteurs constitue un enjeu économique et politique fondamental. Or, la part revenant aux salariés n’a cessé de céder du terrain à la part revenant au capital. Elle était de 75% au début des années 80, elle stagne maintenant autour de 65% Si on peine à mesurer l’importance de ces 10 points de pourcentage d’écart, en réalité, les sommes en jeu sont colossales, environ 250 milliards d’euros à l'échelle de l’économie française. Et cet argent n’est pas parti n’importe où : il est allé en majorité dans la poche des actionnaires. Dans les années 80, un salarié travaillait en moyenne 9 jours / an pour payer les dividendes; aujourd'hui, c'est aujourd'hui plus de 45 jours. Au total dans l’Union européenne, la part des dividendes dans la valeur ajoutée a augmenté de 13 points.


Cette distorsion de la valeur ajoutée n’est pas sans impact direct sur le financement de notre système de protection sociale car les taux de cotisation ne sont absolument pas les mêmes selon que vous la distribuez en salaire ou en dividendes. Pour 100€ de salaire équivalent à 2 fois le SMIC (c’est à dire à peu près le salaire moyen), une entreprise paie 39,2 € de cotisations. Pour 100€ de dividendes, c'est seulement 17,2 € de cotisations, soit 22€ de moins. A l’échelle de l’économie, l’enjeu est énorme : ces cotisations sont essentielles et permettent (entre autres) de financer notre système de retraites. L’accaparement de plus en plus important des richesses par les actionnaires participe à assécher le financement de notre protection sociale. 

Voilà pourquoi le débat sur la répartition de la valeur ajoutée est si crucial dans le contexte de la réforme des retraites : le gouvernement préfère nous faire trimer deux ans de plus plutôt que de rééquilibrer le partage de la valeur ajoutée. Il suffirait pourtant d’augmenter de seulement 2 points la part des salaires dans la valeur ajoutée pour récupérer 12 Mds d’€ de cotisations, soit le déficit hypothétique au nom duquel le gouvernement justifie cette réforme inique.


A défaut de proposer un vrai rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée, les macronistes proposent des rustines : ils veulent étendre et de généraliser les dispositifs comme la participation, l’intéressement, les primes et l’épargne salariale; et réfléchissent à les renforcer avec des “dividendes salariés” et autres “superparticipations”. Une vraie diversion.


Premièrement, ces dispositifs sont adossés aux résultats et aux performances de l’entreprise. Ils peuvent certes augmenter ponctuellement le pouvoir d’achat mais à condition que l’entreprise se porte bien. Ils sont variables et sans garantie, contrairement au salaire fixe. 


Deuxièmement, ce revenu flexible à tendance à se substituer au vrai salaire fixe qui ouvre des droits. En théorie, cela est interdit, et les éléments de rémunération flexibles doivent venir en complément et non en remplacement du salaire. En pratique, les études sur le sujet montrent que c’est une tout autre histoire. 


Troisièmement, la participation, l’intéressement, les primes & l’épargne salariale sont largement exonérés de cotisations (plus de 2 fois moins que pour les salaires). Au total, la Cour des comptes estime à 100 Mds le montant de toutes les niches sociales (exonérations et exemptions de cotisations sociales) en France. Et même si les pertes de recettes sont pour la plupart compensées par l’Etat, c’est une illustration de la “politique des caisses vides”, selon l’expression de Michaël Zemmour : Dans un 1er temps, les exonérations contribuent à creuser le déficit et saper l’autofinancement de la Sécu. Dans un 2ème temps, ce même déficit est utilisé comme argument pour justifier une réforme et la baisse des dépenses et prestations.


On voit bien le paradoxe  : au nom d’un meilleur partage, on prétend donner d’une main aux salariés plus de pouvoir d’achat. Puis on reprend de l’autre du salaire socialisé qui finance la Sécu et les services publics, puissants outils de bien-être et de réduction des inégalités.


Toute l’idéologie des macronistes repose là dessus : déshabiller le bien commun par habiller le profit privé. En fait, le capitalisme est totalement “sous perfusion”, pour reprendre l’expression d’un rapport des économistes du Clersé, laboratoire conjoint de l’Université de Lille et du CNRS. Le capitalisme ne tient pas debout tout seul, il a au contraire besoin de l’intervention continue des pouvoirs publics, notamment par le biais d’aides massives aux entreprises, qui se montent 250 milliards d’euros en 2021, soit plus de la moitié du budget de l’Etat. 


Les mécanismes de partage de la valeur ne sont qu’une redistribution de façade et des rustines sur des inégalités en hausse constante. N’en déplaise au gouvernement, aucun dividende salarié ou aucune “superparticipation” ne peut venir corriger une distribution biaisée à la base.


Le véritable enjeu du partage des richesses se situe en amont, au niveau des salaires et de l’emploi, pas avec la distribution de miettes une fois que les dirigeants et actionnaires se sont servis. Car plus de salaires c’est aussi plus de cotisations sociales. 


Par ailleurs, ce n’est pas qu’une question d'argent mais aussi de pouvoir et d'autonomie. Si l’on veut faire la bifurcation écologique, il faut reprendre la main sur ce que l’on produit, en quelle quantité et où, plutôt que de laisser “la main invisible” du marché en décider. 


Et, là aussi, ça cloche : les mécanismes de “partage de la valeur” contribuent à aligner de plus en plus les intérêts des salariés sur ceux des actionnaires et des marchés, puisque la rémunération dépend des résultats financiers et de la performance de court-terme de l’entreprise. Et cet intérêt, c’est le profit et les dividendes, et ça passe s’il le faut par faire pression sur les salaires, sur les sous-traitants, délocaliser, dégrader les conditions de travail, saccager l’environnement, etc. A celà s’ajoute la deuxième lame : les dispositifs d’épargne salariale ne sont rien d’autre que des produits financiers gérés par les banques et assurances, qui n’ont aucun scrupule à continuer de financer les énergies fossiles et aggraver le changement climatique.


On est donc bien loin de l’harmonie entre capital et travail que les partisans du pseudo partage de la valeur veulent nous vendre. Et nous ne serons pas dupes des diversions de ceux qui veulent maintenir le statu quo.


La bataille pour les salaires et la maîtrise collective de la production ne fait que commencer ! 



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