Le “Qatargate” doit servir de catalyseur pour transformer les institutions européennes
Le « Qatargate » est certainement le scandale le plus spectaculaire de l’histoire du Parlement européen. L’arrestation d’une vice-présidente, la saisie de millions d’euros et de valises entières de billets, la manipulation de votes, d’auditions parlementaires et l’infiltration de négociations rivalisent avec un scénario de House of Cards.
Mais nous ne sommes malheureusement pas devant une fiction à frissons. Nous nous trouvons face au symptôme bien réel d’une maladie chronique des institutions européennes : la culture et l’organisation systémique de l’impunité et de l’opacité qui laisse la porte grande ouverte à toutes les ingérences.
Il est bien sûr choquant que le Qatar ait acheté le silence de l’UE sur l’exploitation à mort de milliers de travailleurs. Mais cette sombre affaire n’est que la partie émergée de l’iceberg d’un vaste système de corruption établi à l’origine par le Maroc et impliquant probablement la Mauritanie et des protagonistes de différentes étiquettes politiques.
Au-delà de ce scandale tentaculaire, le Qatargate révèle en effet les failles profondes de l’intégrité même des institutions européennes, dont profitent autant des Etats tiers que des entreprises privées pour parasiter la fabrique de la loi.
Prenons par exemple le problème des portes tournantes. Les lobbys et les entreprises recrutent des agents par centaines dans les rangs des institutions européennes sans réel contrôle. La Commission peine aujourd’hui à expliquer pourquoi elle a autorisé l’ex-Commissaire Avramopoulos à rejoindre la fausse ONG “Fight Impunity” où il a été payé 60 000 euros. Quant au Parlement, le voilà corrompu par l’un de ses anciens députés qui a pu y aller et venir sans contrôle et créé une association véreuse sans l'enregistrer au registre de transparence.
L’opacité fournit aux corrupteurs la pénombre dont ils ont besoin pour agir. J’en ai fait l’expérience lors de la négociation de la résolution sur la Coupe du monde que j’ai arrachée quelques jours avant que le scandale n’éclate. Bien à l’abri des regards, les députés socialistes et de droite ont pu refuser de reconnaître la responsabilité du Qatar et remettre en cause les milliers de morts sur les chantiers. Cette opacité sévit tout autant à la Commission quand Ursula von der Leyen refuse de publier ses SMS de négociations avec le PDG de Pfizer. Et elle est plus encore la norme au Conseil où les États membres font la loi à huis clos sans devoir assumer ne serait-ce que leur vote sur les textes discutés.
Dans ce sombre tableau, il existe aujourd’hui une lueur d’espoir : l’ampleur de ce scandale doit servir de catalyseur pour transformer les institutions européennes de la cave au grenier et en finir avec la corruption.
A l’aune de la déflagration du Qatargate, j’ai obtenu du Parlement européen le vote d’une résolution et l’adoption d’une feuille de route pour renforcer l’intégrité des institutions européennes. Dans l’immédiat, le Parlement doit suspendre les badges d’accès des représentants du Qatar et du Maroc aux bâtiments du Parlement et renforcer les moyens de registre de transparence. A moyen terme, une commission parlementaire spéciale doit proposer des réformes des règles et systèmes de contrôle éthiques. Elle peut être le moteur de la refonte des défenses éthiques européennes, avec en priorité la mise en place de l’autorité indépendante que nous demandons depuis des années, dotée de pouvoirs d’enquête et de sanction.
A cela s’ajoute la nécessaire révision des règles contre le pantouflage des députés européens, la transparence et l’encadrement de leurs rémunérations externes et la protection statutaire des lanceurs d’alerte au sein du Parlement. Enfin, comment imaginer que les citoyens qui élisent les députés européens ne peuvent les tenir responsables de leurs positions tenues dans des négociations qui répondent alors davantage à des intérêts privés ou ingérences étrangères qu’à un mandat démocratiquement acquis ? Nous devons en finir avec cette opacité en mettant un terme aux négociations “à huis clos”, en garantissant la lisibilité du travail législatif et en particulier en rendant publique l’origine d’amendements ou de propositions de lois poussés par des lobbys.
Il est temps aujourd’hui de passer des mots aux actes pour faire enfin le ménage dans les institutions européennes et rétablir la confiance avec les citoyens. Une bonne résolution pour l’Union européenne en 2023 ? Que l’éthique prime enfin sur le fric.
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