"Si les champs ne plantent pas, la ville, ne mange pas"
"Si les champs ne plantent pas, la ville, ne mange pas"
Ce slogan, c'est celui du mouvement sans terre au Brésil qui se bat contre l'agro-industrie qui va être la grande gagnante de l'accord UE - Mercosur.
"Si les champs ne plantent pas, la ville, ne mange pas"
Ce slogan, c'est celui du mouvement sans terre au Brésil qui se bat contre l'agro-industrie qui va être la grande gagnante de l'accord UE - Mercosur.
Un slogan qui me trotte dans la tête et avec lequel je reviens pleine d’énergie après une semaine de lutte au Brésil contre cet accord de libre-échange de malheur.
Sur le chemin retour, je prends le temps de vous raconter cette mission un peu hors du temps. Certaines mauvaises langues vont s’amuser à raconter que j’aurais pris des vacances.
Au contraire, même à la fin du mois de juillet, la bataille ne s’arrête pas et c’est une fierté de mener la lutte de manière internationaliste : c’est aussi une dimension du combat insoumis. Dans le même temps, mes camarades Emma Fourreau et Gabrielle Cathala font route vers Gaza sur le Handala et je garde bien sûr un œil sur leur traversée pour briser le blocus humanitaire à Gaza.
Le cadre initial de cette semaine, c’est une mission du Palement européen au Brésil sur l'accord UE - Mercosur. Objectif : évaluer l’impact de l’accord. Sauf que… Le programme officiel (décidé par le président de commission) ne visait qu'à une chose : montrer que l'accord serait formidable pour le Brésil.
Résultat : les rencontres faisaient la part belle aux lobbys agro-industriels, et même... une rencontre avec Mercedes. Bref, les seuls qui vont s'engraisser de profits... mais pas les 1er concernés : les paysans.
Pour ma part, je ne suis pas venue pour visiter un appartement témoin ni boire les paroles de lobbys. J’ai donc fait part à tous mes interlocuteurs, sans exception et en toute franchise, de ma plus vive opposition à l’accord. Surtout, j’ai prolongé ma mission au Brésil pour rencontrer tous les acteurs et actrices de terrain qui s'opposent à cet accord et au libre-échange en général. Représentants des Peuples autochtones, Mouvement des Paysans Sans Terre, ONGs, syndicats, associations écologistes qui dénoncent les impacts néfastes de cet accord et organisent la résistance au Brésil.
Et je peux vous dire que j’ai pris une sacrée claque. La force, l’abnégation, la structuration politique de tous ceux qui luttent sur le terrain au Brésil est une sacrée leçon de vie et de militantisme.
Il y a d’abord les paysans du mouvement des sans terre, qui luttent sans relâche contre l’agro-industrie, occupent les terres jusqu’à en reprendre le contrôle, et démontrent par la pratique qu’un autre modèle agricole est possible, loin des pesticides à tout va. Parce que le Brésil est le pays champion du monde de l’utilisation de pesticides (130 000 tonnes par an !). Des pesticides produits en Europe (où nombre d’entre eux sont interdits !), envoyés au Brésil pour l’agro-industrie, avant que les denrées agricoles soient renvoyés vers l’Europe. On marche sur la tête ! Voilà le modèle qu’ils veulent promouvoir avec l’accord Mercosur et voilà comment le maïs, le boeuf, le sucre ou encore le soja qui va terminer dans votre assiette sera bourré de pesticides ou autres hormones de croissance.
Ce d’autant plus qu’un des enseignements de cette visite ne laisse aucune place au doute sur l’incapacité des autorités brésiliennes à contrôler ce qui va être exporté : dans le principal port du Brésil (Santos), il y a seulement 34 inspecteurs sanitaires… pour plus de 20 000 camions par jour. Autant dire peanuts et rien n’est contrôlé.
Mais au milieu de cet océan agro-industriel, des poches de résistance s’organisent. Ce sont les paysans de Mario Lago au nord de Sao Paolo qui ont repris le contrôle des industriels de la canne à sucre pour faire du maraîchage, servant directement la population locale. Ils sont encerclés tout autour par des agro-industries de cannes à sucre qui pulvérisent de pesticides les terres par avion, rendant la cohabitation impossible. Parce que c’est tout le paradoxe du Brésil : dans un pays - continent, seulement 5 cultures (soja, mais, coton, canne à sucre, élevage bovin) représentent 86% de toute la surface agricole au Brésil et 94% de la production en volume.
Une production entièrement tournée vers l’exportation pendant que des centaines de milliers de brésiliens peinent à se nourrir. Le Brésil crève de cette hyper-spécialisation agricole qui nourrit davantage les profits des multinationales et les réservoirs des voitures que les gens.
C’est ce modèle qui sera aggravé par l’accord UE - Mercosur qui vise précisément à augmenter encore plus ces exportations. Et c’est ce modèle que nous combattons. Et nous ne sommes pas seuls. Au Brésil, la mobilisation s’organise aussi. Les syndicats sont contre. Les associations de protection de l’environnement sont contre. Les associations des peuples autochtones sont contre. Les paysans sans terre sont contre.
C’est aussi pour élaborer une sratégie commune de mobilisation que nous nous sommes rencontrés. La collaboration ne va pas s’arrêter là et tant pis si les grincheux continuent de commenter mes déplacements sans en comprendre le but politique. Dans le même temps, en France la mobilisation contre la loi Duplomb - qui prévoit notamment la réautorisation d’un pesticide dangereux, qui atteint les 2 millions de signatures en France démontre que des deux côtés de l’Atlantique, on ne veut plus de leur poison.
Parce que des deux côtés de l’Atlantique, tout le monde sera perdant. Enfin tout le monde sauf les multinationales agro-industrielles. Nous avons quelques mois pour les faire perdre.
Il ne faut rien attendre de Macron qui prétend s’opposer à l’accord mais n’a rien fait les 8 dernières années où il était au pouvoir. Il prétend désormais tenter d’ajouter une annexe à l’accord alors que les négociations sont closes. Mais vous pouvez ajouter tous les protocoles additionnels, annexes, notes de bas de pages et autres Nota Bene que vous voulez, à ce stade ils ne seront pas contraignants et donc sont parfaitement caduques.
Enfin et surtout, on ne résout pas le malaise du monde agricole à coup de clauses de sauvegarde dans les accords de libre échange. Le principe même des accords de libre échange est d’augmenter la mise en concurrence entre les producteurs et les travailleurs dans une pure logique de profits. La raison-d’être de cet accord est de favoriser l’importation de produits agricoles brésiliens ou argentins en échange de parts de marchés supplémentaires pour les multinationales européennes de l’industrie ou des services. L’agriculture est donc sacrifiée, à dessein, sur l’autel des soit disantes vertus de la mondialisation et du libre-échange.
Les seuls efforts qui vaillent la peine sont ceux visant à faire tomber ou bloquer l’accord.Et la bataille ne fait que commencer : sans le vote du Parlement européen, cet accord ne pourra jamais entré en vigueur. Le vote devrait se tenir d’ici la fin de l’année.
Nous avons donc quelques mois pour remporter la bataille. Elle commence maintenant, des deux côtés de l’Atlantique, en France comme au Brésil, en Europe comme au Mercosur, comptez sur moi pour ne rien lâcher !
Manon Aubry